« J’entends sa voix qui murmure, comme si je n’étais plus seul dans ma tête. Je ne peux plus entendre un son sans qu’il déclenche une image. Il est si réel que j’ai l’impression de l’avoir vécu. Tu comprends ? Est-ce que tu comprends ? » "Dédales"
Des mots désespérés. Une voix à bout de souffle, en proie à la peur et à la schizophrénie, fatiguée par des nuits de cauchemars et de démons. Des arpèges mélancoliques laissant planer une atmosphère malsaine au possible, afin d’augurer d’une noirceur à venir, d’une apocalypse proche. Puis ce premier riff, gras et lourd, laissant exploser la rage et la haine de ce qui deviendra rapidement une référence, une expérience insondable et unique, une œuvre à part dans un paysage anticonformiste ayant de plus en plus peur de réellement innover, proposer et exploser les codes établis. C’est tout ceci qu’on peut ressentir lors de la première minute de "Phrase 6", premier titre du second album full-lenght de
Psygnosis.
D’un projet initialement centré autour du seul compositeur Rémi Vanhove (guitare, samples, chant),
Psygnosis est devenu un véritable groupe avec l’ajout d’un bassiste, d’un second guitariste et d’un chanteur à part entière.
Anti-Sublime avait déjà été une claque incroyable lors de sa sortie mais le départ de Raphaël au chant avait laissé quelques doutes, notamment sur l’arrivée de Yohan Oscar, très moderne, qui avait surpris sur l’ep "
Sublimation" qui servait plus ou moins de présentation pour le nouveau vocaliste.
Plus djent, plus core, il fallait espérer que
Psygnosis ne se vendent pas déjà sur l’hôtel de la simplicité ou d’une musicalité surfaite…"
Human Be[ing]" est finalement si immense que ces craintes, avec le recul, paraissent désormais bien peu fondées.
Dès ce premier titre, Yohan démontre la brutalité qu’il parvient à dégager, la furie et le désespoir qu’il est capable de véhiculer avec sa voix. La production a considérablement murie, autant dans son rendu émotionnel que dans l’impact qu’elle parvient à produire. Les guitares sont plus épaisses et rugueuses, la basse confère une dimension organique incomparable très différente de la froideur industrielle de son prédécesseur pendant que la programmation de batterie parvient à offrir l’illusion parfaite (si ce n’est pas une meilleure sonorisation que nombre de batterie réelle dans le metal extrême). Le style de
Psygnosis se reconnait désormais distinctement, entre ces passages atmosphériques lents et mélancoliques et ces accélérations brutales désormais plus violentes que jamais, renforçant considérablement l’aspect death metal de la musique du groupe. Il n’y a qu’à écouter le passage après la quatrième minute de ce premier titre pour s’en rendre compte, tant Yohan impressionne sur ses hurlements.
Le groupe s’est aujourd’hui forgé une identité très solide, digérant tellement bien ses influences qu’il en devient difficile de penser à autre chose qu’aux précédents morceaux déjà écrits par le groupe. Si le compositeur se revendique lui-même très influencé par
Hypno5e, dont on peut reconnaitre le concept atmosphérique/extrême/citations en tout genre,
Psygnosis y incorpore de nombreux éléments électroniques et maladifs qui les rendent résolument uniques. Les compositions sont longues, alambiquées, complexes mais suivent pourtant une ligne logique, à l’instar d’une évolution presque humaine. C’est ainsi que "Phrase 6", qui se clôt sur une note véritablement destructrice, sert de véritable tremplin à "
Resurrection", comme si le premier titre n’était qu’une introduction au second. On retrouve un riff que
Gojira n’aurait probablement pas renié, instaurant même des parties de tapping relativement proches de ce que les Duplantier ont proposé sur "Oroborus" ou "The Guilt of
Gift". Parfois étouffant et suffocant, la composition respire cependant sur des parties acoustiques ne faisant que rendre les accélérations à venir plus agressives encore. L’impact de la production rend chaque attaque vocale, chaque riff, chaque blast si violent qu’ils en sont des uppercuts qu’on enchaine sans jamais parvenir à se relever. Yohan dévoile ensuite son chant clair et affiche des progrès immenses et une personnalité toute autre en comparaison de
Sublimation. Que dire de cette émotion intense qui régit ce passage en clair surmonté d’un blast beat monstrueux de rapidité ? Il s’en dégage une sensation malsaine, glauque et déchirante…avant une nouvelle citation effrayante, posée sur une mélodie lancinante et répétitive évocatrice d’une folie schizophrénique. Le riff qui termine la composition ensuite se permet une répétition infernale, évoluant dans sa propre linéarité, grimpant progressivement en intensité grâce à l’injonction de samples, d’effets et de sonorités bizarroïdes.
"
Human Be[ing]" se veut une suite presque parfaite de sept morceaux formant une toile, une gravure très personnelle et une empreinte que l’on espère indélébile dans une géographie metallique faussement sombre, trop souvent lisse et superficielle.
"
Silent" par exemple, commence sur un riff martial relativement traditionnel mais c’est le génie de son interprétation et de son développement qui traduit la différence qu’est aujourd’hui
Psygnosis. Le chant de Yohan est tellement saturé qu’il semble loin de nous, tel un fantôme, tel un esprit appelant au loin et réclamant une aide qu’il n’aura jamais. Mais surtout, il y a ce passage atmosphérique dépassant tout ce que Rémi Vanhove avait pu proposer précédemment. Cette mélodie d’une beauté à couper le souffle, ces effets latents provoquant un malaise constant, ces nappes de claviers qui envahissent l’auditeur. Et surtout, ce passage de "The Great
Dictator", en anglais. Il n’est pas question, comme souvent, de quelques secondes mais d’un extrait intégral, de plus de trois minutes, montant en puissance. D’un phrasé lent couplé à une musique très lente, l’intensité monte très progressivement au fur et à mesure que le führer prend possession de la bande sonore, des riffs tourbillonnants et saturés font leur apparition, les effets électroniques se font plus pressants jusqu’à parvenir à un malaise incroyable, celle de ne plus être témoin ou spectateur mais d’appartenir à la musique, d’en être corps, de le vivre.
L’auditeur devra chercher, trouver ses propres points d’accroche mais également le désirer car "
Human Be[ing]" est exigeant. Il ne se découvre et ne se dévoile pas facilement, il se mérite. "
Hurricane", du haut de ses presque quinze minutes, en est un bel exemple, explorant de nombreuses facettes mais surtout celle très extrême. Véritable bande son de la fin du monde, ce titre démontre une fois de plus l’intelligence d’un artiste ayant compris que la violence et l’extrême ne passait pas que par la rapidité et l’impact brute mais aussi par des plans ambiancés, par ces instants où l’on pense voir la lumière mais qui ne servent qu’à vous enfoncer encore plus. Yohan a également eu la parcimonie d’utiliser son chant clair uniquement en des instants fugaces, rendant ses interventions plus vitales encore du fait de leur rareté. Quant à "
Lost to Oblivion", que dire si ce n’est qu’il est probablement le titre le plus mélancolique écrit par le groupe jusqu’à aujourd’hui ? Introduction ambiante, mélodie d’une belle à se trancher les veines, citation de Gaspar Noé ("
Seul contre Tous"), partie de chant clair, chant hurlé tirant cette fois-ci sur le core pour renforçant la douleur du personnage…tous les ingrédients pour un titre amené à devenir culte.
Y a-t-il encore des choses à ajouter suite à un tel écrit dithyrambique ? Oui, qu’outre la musique, les français ont aussi développé une imagerie et un concept élaboré et très riche. Que l’artwork et le livret du digipack sont sublimes et agrémentés de photographies très esthétiques et que
Psygnosis se fait le chantre d’un art voulant ouvrir les yeux aux gens. "
Human Be[ing]" relatant autant l’âme d’un être humain que donnant l’ordre à chaque d’être un humain, de suivre sa voix, de ne pas s’enfermer dans des carcans imposés par une volonté supérieure. Ce qui est certain, c’est que cet album est bien plus qu’un disque de plus dans les bacs, qu’une sortie supplémentaire dans le mois ou l’année. Il est, faut-il l’espérer, le point de départ d’une nouvelle ère et d’une reconnaissance complètement méritée. Un album dont il serait logique de parler encore dans une dizaine d’années…
La filiation avec leurs potes de Vildhjarta me semble même encore plus évidente, et le t-shirt fièrement arboré par le gratteux dans le clip de Resurrection ne laisse guère de place au doute. Thall.
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